mercredi 30 mars 2011

Dämonen // Du grand Ostermeier, du grand Eidinger

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Frank et Katarina. Un couple dans la trentaine. Ils entretiennent une relation amour/haine où la violence, le désir, la sexualité et l’érotisme se mêlent. Ils vivent dans un appartement moderne quasi impeccable mais stérile. Sans enfant. Incapable de se quitter. Ils reçoivent leur couple de voisins, Jenna et Tomas, qui semblent être leur opposé : jeune couple heureux et parents protecteurs. Ils assistent –voyeurs malgré eux et impuissants?- à l’autodestruction malsaine du couple.

Une langue crue. Violente. Dépouillée. Le texte expose l’univers de l’enfermement. La solitude des êtres. Sonde les profondeurs de l’esprit. Expose la folie. L’impuissance. La faiblesse. L’enfer d’être en couple. Les pulsions perverses. L’humain nu, passé au scanner : entier et froid. Un extrait du texte pour mieux saisir :

Frank : Maintenant on se calme.

Katarina : Qu’est-ce que je dois faire ?

Frank : Ce que tu veux.

Katarina, sans timbre. Ce que je veux ?

Frank : Ce que tu veux toi… C’est si difficile ?

Katarina : Oui… Oui, c’est difficile.

Frank : Vraiment ?

Katarina : Oui, oui.

Un temps.

Frank : Pourquoi ?

Katarina, calme, claire : Parce que c’est toi mon moi.

Frank, bouleversé : Mais chérie, ils arrivent tout de suite. Soit joyeuse maintenant.

Katarina, au bord de la crise de nerfs : Tu n’arrêtes pas de me rendre malheureuse. Angoissée… et si bouleversée.

Et vide… Je ne veux que fuir… En arrière… En arrière…

Frank : Où ?

Katarina : Vers toi.

[…]

Katarina l’embrasse –il rend le baiser, ça devient sexuel. Elle le sent. Lui caresse la nuque, sait qu’il réagit à ça –elle réagit à sa réaction.

Dirige la main de Frank vers son sexe, sous la robe. C’est maintenant très érotique et en même temps objectif. Ils glissent au sol. Frank lui enlève sa culotte.

Ne vois pas ça comme une menace, mais si tu le veux, je serai ta femme la vie entière.

(Norén, Lars. 1994. Démons. Trad. du suédois par Louis-Charles Sirjacq, en collaboration avec Per Nygren. Paris : L’Arche, p. 29-31)

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Je n’ai malheureusement pas lu le texte. Les didascalies semblent être riches en non-dits. Mais quand même, le rendu sur scène est troublant. Juste. La mise en scène d’Ostermeier est d’une rigueur esthétique pure. La scénographie de Nina Wetzel est troublante. Le plateau est en fait l’appartement du couple Frank/Katarina : salon, chambre à coucher, salle de bains et kitchenette. Comme dans d’autres mise en scène d’Ostermeier, l’espace de jeu est un dispositif tournant qui permet au public d’observer sous tous les angles les allées et venues des personnages. Et beaucoup de transparence. Du verre. Et des projections vidéo. On a accès non seulement à l’espace physique dans lequel évoluent les protagonistes, mais aussi leur espace intime, voire même leur espace mental. Cet espace rend justice aux propos de Norén qui, avec son écriture, tente de : « tourner autour des êtres et des objets, comme autour d’une sculpture, au lieu de n’en regarder qu’une seule face. » [1] Comme un huis-clos. Un enfer domestique. Toute la complexité humaine.

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Franchement, il faut des acteurs solides pour nuancer de tels propos. Porter un tel texte. Aller à la fois dans une profondeur réaliste et à la fois frôler la psychose. Exposer les démons internes que chacun portent. Sans basculer dans le cliché. Avec un abandon contenu. Le couple d’acteur Lars Eidinger/Brigitte Hobmeier est prodigieux. L’humour noir dans toutes ses teintes. Une subtilité étonnante.

C’est en voyant des pièces comme celles-là que je me souviens pourquoi j’aime le théâtre. Où on hurle la vérité. Où on crache tout ce qu’on possède. Où on provoque. Dérange. Un vrai beau théâtre de la cruauté digne d’Artaud. Un spectacle qui remue nerfs et coeur. Qui disait donc que le vrai théâtre était celui qui se situe entre le rire et son étranglement ? Kantor ?

Bref, on ne sort pas indemne après une telle pièce. On reste marqué. Troublé. Rempli de questions. Le théâtre est le seul endroit où on peut encore communiquer directement. Et la Schaubühne est sans doute un lieu béni des Dieux. Ou des Démons. C’est selon.

Un extrait pour vous mettre l’eau à la bouche :

 

C’est au répertoire de la Schaubühne. Et surtitré en français. Vous n’avez aucune raison valable de manquer ça.

Dämonen de Lars Norén, traduit du suédois par Angelika Gundlach

Mise en scène : Thomas Ostermeier | Dramaturgie : Bern Stegemann

Scénographie et costumes : Nina Wetzel |Musique : Nils Ostendorf

Eclairages : Erich Schneider | Vidéo : Sebastien Dupouey

Avec :  Lars Eiginger, Brigitte Hobmeier, Eva Meckbach, Tilman Strauß

Durée :  145 min.

Le 11 et 13 mai 20h à la Schaubühne

Tarif: de 7€ à 42€

 

En tournée du 12 au 16 avril 2011 au Théâtre des Célestins à Lyon.


[1] Cité par Lorène de Bonnay, Les Trois coups : http://www.lestroiscoups.com/article-damonen-demons-de-lars-noren-critique-de-lorene-de-bonnay-theatre-de-l-odeon-a-paris-62472160.html, page consultée le 28 mars 2011

mardi 29 mars 2011

Nature Theater of Oklahoma // Life and Times : Episode 1

NTO (c) Markus Scholz Life and Times 3©Markus Scholz

Une comédie musicale? Pas tout à fait. Une histoire de vie musicale ? Une pièce chantée ? J’aime quand je ne parviens pas exactement à trouver le bon qualificatif pour décrire un spectacle. C’est bon signe. Mais le titre en dit long : Life and Times.  Et ça me fait penser à Life is Life. C’est pas plus compliqué que ça. L’histoire d’une vie chantée. Chantée comme on parle. J’adore. « And I was… hum… but, hum… » En fait, le texte est plutôt un entretien téléphonique, recopié mot à mot, qui raconte les 8 premières années de vie de Kristin Worrall, membre du collectif. (Je ne sais pas quels genres d’entretiens réalisent Nature Theater of Oklahoma, mais il faut dire que le spectacle dure 3h30…) Les performeurs s’emparent à tour de rôle d’une partie de ce récit. Simplement.

NTO (c) 6 Rainer Werner© Rainer Werner

L’espace est dépouillé. Les mouvements sont économes. Tout repose sur la présence –charismatique- des performeurs. On parle de design dans le programme et non de décor et/ou scénographie… Fort intéressant n’est-ce pas ? Musique live. On ne se surprend pas lorsque les musiciens prennent soudainement part à l’action, tout naturellement. On se laisse transporter. On se laisser raconter. Avec cette langue parlée, fluide, naturelle. Avec tout ce que cette histoire comporte de naïf, de ludique et de théâtral. Un minimalisme désarmant. C’est pour ça que je vais au théâtre. Pour rien de plus.

Comment rejoindre les thèmes universels ? En partant justement de quelque chose d’anodin. Du quotidien. Sans compromis. Sans tenter de farder le tout de flafla inutile. La langue ordinaire. Et j’aime la langue ordinaire. J’aime les expressions du quotidien. Je suis une fan du quotidien. De la répétition. Parfois, c’est long la vie ordinaire des gens ordinaires qui parlent une langue ordinaire. Comme disait Dédé : « la vie c’est court, mais c’est long des p’tits boutes » Il a tout compris. Repose en paix, ami.

NTO (c) 4 Rainer Werner © Raimer Werner

Une des raisons pour lesquelles je vais au théâtre, c’est justement parce que ce n’est pas la vie. Souvent, j’espère qu’on ne conservera que les meilleures parties. Mais on n’est pas au cinéma non plus. J’en suis parfaitement consciente. Et c’est ici que ça devient intéressant. Pourquoi faire un spectacle de 3h30 ? J’aime, non j’adore les longs spectacles. J’ai énormément d’endurance. Mais je n’ai pas plus de patience au théâtre que dans la vie. Et quand j’ai l’impression qu’on a fait le tour du sujet… C’est qu’après un certain moment, le procédé s’épuise. Même que ça devient un peu pénible. Et je ne comprends toujours pas l’entracte. En fait, c’est que je me pose toujours la question : qu’est-ce qui va y avoir ensuite pour me surprendre ? Quand il y a un entracte, je m’attends toujours à ce qu’il se produise quelque chose d’extraordinaire. En fait, je voudrais qu’il se passe quelque chose d’autre. Parce que je sais que dans 99% des cas je vais revenir à ma place et attendre sagement la fin. Sans grand bouleversement. Dommage. Et une fois de plus, mon instinct de feu à eu raison.

Oui c’est agréable. Oui c’est brillant. Oui c’est original. Mais encore ? Toute la performance fonctionne. Mais pourquoi le quart du public part à l’entracte ? Pourquoi lorsqu’une des performeuses s’adresse à la salle en demandant l’heure et si on veut qu’elle continue à parler on lui répond : « non » ? Il ne faut pas trop étirer la sauce, hein. Mais en même temps, j’aime ça quand c’est long. Et ici, ce n’est pas vide. C’est juste la vie. Avec ses petits décalages. Dans toute sa fragilité. Est-ce que je me suis ennuyée ? Oui. Quand même un peu. Mais je pense que j’aime ça des fois. Même si je chiale. J’aime aussi ça chialer.

[D’ailleurs à propos de l’ennui, je vous invite à lire un billet fort intéressant d’un copain auteur dramatique.]

Bon. C’est la vie!

dimanche 27 mars 2011

Travelogue I - Twenty to Eight // Sasha Waltz

travelogue waltz

« Mon travail s’inspire des rituels quotidiens et de l’existence aux prises avec la banalité routinière, je réfléchis surtout aux rapports entre individu et collectivité, entre l’ici et l’ailleurs, entre hier et demain. »[1] -S. Waltz

Créée en 1993, c’est la première pièce importante de la chorégraphe allemande. Presque 20 ans plus tard, je la vis. Sans Sasha, mais avec des danseurs virtuoses. Un pur moment de beauté. Brute. Un espace habité. Des lieux qui parlent. Des objets qui agissent. Portes qui s’ouvrent et se ferment. Murs escaladés. Déséquilibres. On a l’impression d’assister à un combat. Un combat avec quelque chose d’impossible à combattre. Le quotidien. Et on accepte. On ne se résigne pas.

On danse la vie. Avec un rythme fou. Avec toutes les répétitions que ça implique. Et le silence. Les corps affrontent les objets. Les obstacles. Le vide. L’enfermement. La circulation. C’est ça la danse. C’est mettre en mouvement ce qu’on ne peut exprimer par la parole. Et alors tout est dit. Sans censure. Sans compromis. Pour la beauté du geste.

 


[1] http://www.cyberpresse.ca/arts/spectacles-et-theatre/festivals/200905/16/01-857203-sasha-waltz-licone-berlinoise.php, page consultée en mars 2011

vendredi 25 mars 2011

Schukschins Erzählungen // Alvis Hermanis

Alvis Hermanis©  Kirill Iosipenko

Que dire de ces Récits de Schukschins ?

De la poésie.

Une langue vivante et imagée (Je fais comme si j’avais tout compris… Mais est-ce qu’on a vraiment besoin de tout comprendre pour affirmer qu’une langue est vivante et imagée ? Ça se voit non ? )

Un rythme cinématographique.

Mais je déteste les entractes. Ça vient toujours briser quelque chose.

Du russe surtitré en allemand. Je sais pas à quoi je pense des fois… Parfois, ma concentration baisse. Parce que souvent j’ai l’impression que les surtitres ne vont pas avec les voix. Donc je plonge vraiment dans une langue que je ne connais pas. Dans un univers risse avec une star comme acteur principal que je ne connais pas. Et pour la première fois en sol allemand, j’assiste à un standing ovation d’au moins 40% de la salle ! Et des « Bravos ! » Et des fleurs sur la scène ! Tradition russe oblige ! N’empêche, c’est quand même amusant de voir la retenue des allemands.

Cette pièce mérite des fleurs.

C’est une pièce, ou plutôt une série de courtes histoires. Des instants de vie. Des captures de temps.

Moi je trouve que ces récits ont passé trop vite. C’est rare que je quitte le théâtre avec le sourire aux lèvres. Des fois j’oublie que j’aime ça être bien. Il y a quelque chose de très près de l’humain chez Hermanis. De beau. Je savais. C’est d’ailleurs pour ça que je redoutais. Mais c’est bien un vent frais parfois. Pas trop souvent. Mais je peux dire que je suis en paix avec Hermanis maintenant.

Un court extrait pour clore en beauté :

Ah oui! J’oubliais! Pour ceux que ça intéresse, Alvis Hermanis sera à Berlin, au HAU 2,  avec Kapusvetki /Friedhofsfest,  du 29 au 31 mars.

lundi 21 mars 2011

La parole de Temps // Wajdi Mouawad

Temps (c) La Presse© La Presse Canadienne 

Est-ce que voir Wajdi à Berlin est différent de voir Wajdi à Montréal  ? Est-ce que le jugement est le même  ? Assister à un marathon théâtral nocturne (Littoral, Incendies, Fôrets et Ciels) sous le ciel avignonnais au Palais des Papes n’a probablement pas le même effet que de voir chacune des pièces dans des lieux différents et ce, sur une période de temps diverse. Entendons-nous, je n’ai pas suivi toute l’œuvre mouawadienne : j’ai lu la pièce et vu le film Littoral mais seulement vécu Incendies et Forêts au théâtre. N’empêche. Les thèmes sont récurrents : filiation, mémoire/oubli, genèse, inceste, prise de parole… Rien de léger. Et le texte coule. Longtemps. Mais toujours avec une intrigue bien ficelée. Des fragments d’un tout qui finissent par s’emboiter parfaitement.

Wajdi est un homme de foi. Il mérite qu’on salue sa sensibilité, sa profondeur, son engagement total. Je me confesse : oui j’aime Wajdi. J’aime me faire raconter ses histoires. J’ai été touchée par Incendies. Troublée jusqu’à la fin. J’en ai eu pour 3 jours à me remettre après la représentation. Et je me suis laissée portée par Fôrets. Spectatrice naïve parfois, peut-être, j’aime ses longs textes qui n’en finissent plus. Bon. Ce n’est peut-être pas le plus grand auteur de théâtre du siècle, j’en conviens, mais moi j’aime ces histoires torturées, construites comme une mosaïque. Et la langue de Wajdi. Cette langue qui traite des grands mythes fondamentaux avec une poésie contemporaine. Sans compromis.

Temps m’a déçue. Et pas parce que ça ne ressemble pas à ce qu’on connaît de Wajdi. Justement. J’espérais quelque chose de neuf. Mais j’ai été déçue par cette forme nouvelle et pareille à la fois. Non seulement déçue au niveau de la fable, mais sur tous les plans : narratif, mise en scène, jeu, dramaturgie… J’ai vraiment eu l’impression d’assister à une mauvaise parodie de ses pièces précédentes. Cette langue qui est habituellement riche et complexe est ici complètement pauvre et lourde. Mais quelle est cette langue ? Wajdi nous a  habitué (sauf peut-être avec Seuls) à des textes fleuves construits autour d’une intrigue multiple, avec une langue qui hurle et qui parle trop parfois, mais qui tente d’exprimer un état d’être, une langue poétique qui dérive vers des rivages chaotiques. Cela ne plaît pas à tous, soit. Mais c’est une langue vivante. Maladroite peut-être, mais vivante. Avec Temps, Wajdi nous parle une langue morte. Sans nerfs. Lente. Et dédoublée. Par exemple, la parole est prise en russe puis traduite en français. Ou encore dans la langue des signes et à nouveau traduite. Et pourquoi s’encombrer d’autant de langues justement ?

Je m’explique. L’histoire est simple. Une fille et son père malade vivent dans une ville du nord du Québec, Fermont, où les habitants demeurent à l’intérieur d’un « mur écran » qui à été construit pour protéger la ville des vents violents. Il fait froid. La ville est envahit par les rats. La fille –muette- à écrit à ses frères exilés depuis des décennies. La joyeuse famille réunie, ils vont tenter de comprendre les raisons de leur séparation et celles qui ont poussées leur sœur à vouloir communiquer avec eux. Bon. Je vous épargne les détails. C’est pas joyeux. Mais on sait dès le départ se qui se trame. Et tous les éléments s’enchaînent par la suite comme dans un mauvais film de série B. Il ne faut pas sans cesse et toujours raconter la même histoire. Tout ce qui faisant sens dans les autres pièces de Wajdi, du moins pour moi, n’en a plus aucun ici. C’est beaucoup trop. Trop de conflits familiaux. Trop de symboles. Trop d’éléments redondants. Ce n’est pas le sujet qui pose problème. C’est du Wajdi, on sait que ça sera pas une comédie musicale.

Il y a une difficulté de communication. Et ici,  c’est flagrant. La fille est muette. Elle a donc une interprète. Quand le frère exilé en Russie débarque, il rapplique avec son interprète. (D’ailleurs, les deux interprètes vont finir ensemble. Un Happy-end ridicule). Donc, si on résume : on parle le langage des signes, français et russe sur scène avec des surtitres en allemand et en anglais. Pourquoi tant de complication ? C’est lourd. Et chacun des mots est prononcé dans un français étrange qui n’existe pas. La langue est vide. Le rythme est lent. Les personnages ne font rien. C’est long. Et surtout, tout est joué d’avance. La communion n’a pas lieu.

Ah, pis les poupées Russes… Ah, pis les rats… Ah, pis l’isolement… C’est ben trop gros. Souligné. Et en gras. Un critique allemand à écrit à propos de la pièce : « Meterdicke Symbolik » (symbolique d’un mètre de profondeur) et termine par : « Das ist Schmonzes ». Je suis pas certaine de comprendre à 100% ce mot, mais je ne pense pas que ce soit très positif.  C’est quand même assez paradoxal que la pièce la moins réussie que je vois depuis que je suis partie soit une pièce québécoise. Dommage.

Mais vous pouvez visionner la conférence de presse pour Temps ! Entendre Wajdi parler c’est toujours un pur délice.